Le rapport danse - musique. A l’origine des trois boléros.
Disons que chez moi, la danse naît toujours d’une écoute musicale, mais de ma musicalité intérieure, si je puis dire. Après que la danse ait été construite, que la matière se soit développée, il y a des musiques qui viennent de l’extérieur, qu’on ajoute à la matière chorégraphique. Et j’essaie que la musique soit la plus cohérente par rapport à ce que l’œuvre donne, à ce que l’image propose. Donc mes spectacles ne sont pas des spectacles créés à partir d’une musique - en tout cas, jusqu’à trois boléros, cela faisait quinze ans que je faisais ça.
Or, en faisant Projet de la matière, qui est un spectacle hors musique, hors temps, j’ai peut être développé un rapport à une musicalité qui m’a donné le désir - en tout cas ponctuellement - de travailler à partir d’une musique. Mais pour cela, il m’est apparu essentiel et nécessaire que ça se fasse de trois façons différentes, précisément, pour continuer d’affirmer cette autonomie, cette indépendance de la danse face à la musique. J’ai donc pensé à trois versions chorégraphiques d’une même œuvre, et, au moment même, j’ai pensé à trois boléros.
C’était une solution difficile, parce que le Boléro de Ravel est très puissant, très fort, et a une couleur, chorégraphiquement, qui lui a été donnée par Maurice Béjart, et que je ne voulais surtout pas reproduire. Il fallait que je défende ma propre vision de ce Boléro. Mais il y avait aussi une facilité qui était de prendre une musique qui est, je dirais, horizontale. Elle est oblique également, puisqu’il y a ce crescendo. Mais elle n’a pas de courants verticaux, ce qui me permettait d’imaginer tout ce qui pouvait se passer sur le plan vertical. C’est ce que l’on perçoit dans la première version - première version qui est beaucoup plus jubilatoire, qui grimpe, qui crée des mélodies par elle-même. Par contre, j’avais aussi envie de traiter cette dimension horizontale, et donc le 3ème boléro m’apparaissait comme quelque chose d’évident.
Et c’est devenu encore plus évident à la réception du public, de par ce qu’on m’a renvoyé, et comment, tout d’un coup je me rendais compte que le fait que tout le monde connaisse cette musique a joué complètement au bénéfice du spectacle, puisque le spectateur a été simplement amené à regarder et à entendre par les yeux – ou à regarder par les oreilles, je ne sais pas comment on peut dire. Mais les sens se sont inversés et le spectacle est perçu... Il est perçu, il n’est pas regardé, il n’est pas entendu, mais il est perçu ! Et pour moi, c’est vraiment
quelque chose de merveilleux. Et c’est aussi pour ça que je n’avais pas envie d’arrêter trois boléros.
Entretien entre Jean-Michel Plouchard et OdiIe Duboc, à l’occasion de la Biennale Nationale de Danse du Val de Marne 2003.