(...) Ce travail consistait à faire le vide et tenter à travers l‘exploration mentale de la rythmique de chacun des éléments, air, eau, terre, feu, d’alimenter notre corps et de l’entrainer ainsi dans un mouvement organique ou chacune des quatre phases respiratoires : inspiration, apnée supérieure, expiration, apnée inférieure, trouvait sa correspondance dans la matière même du corps.
Ainsi, l’inspiration tendant à l’envol, nous entraînait-elle dans une sorte d’emprisonnement physique, notre corps se trouvant en relation directe avec l’espace environnant en résistance par rapport à lui, alors que l’expiration accusant l’idée de poids et donc d’attraction vers le sol, nous libérait de cet emprisonnement, ne nous laissant plus qu’une sensation intérieure bénéfique d’ouverture articulaire et musculaire. À l’image du flux et du reflux de la mer, ou du mouvement du vent dans les arbres, mon corps n’était plus un volume isolé du monde, mais devenait une masse mouvante tantôt en adhésion totale avec le sol, confronté à lui, l’épousant, le faisant sien, tantôt porté dans les airs par les volumes imaginaires qui le propulsaient dans des orientations imprévisibles ou le suspendaient durant cette phase relative à l’apnée supérieure.
Petit à petit, et totalement issu de cette "attention" respiratoire, un "chant intérieur" s’est fait entendre. Mon corps n’a plus alors fonctionné que dans l’abstraction musicale. Des lignes inspiratoires, des courbes expiratoires, des temps de suspension qui à eux seuls définissaient le rythme de la mélodie du mouvement.
La danse venait tout naturellement s’inscrire dans cette portée musicale.
Au moment même où je la vivais, cette musique se nourrissait de ce qui précédait et alimentait ce qui allait suivre.
J’avais la sensation que mon imaginaire allait s’ouvrir sans fin. Il me fallut cependant très vite éviter le risque de la facilité : ne jamais céder à la connaissance.
Aucune pensée ne devait précéder l’action. Seul l’instant vécu comptait. Les sensations pouvaient se ressembler, elles ne devaient jamais être les mêmes. J’étais tout à la découverte, les yeux fermés, état premier obligatoire pour faire le vide et être à l’écoute de soi, de son souffle.(...)