→ Rhapsody in Blue (1998)
Commande de l'Opéra de Paris
Douze danseurs de l'Opéra de Paris.
Musique : Georges Gershwin ; prologue sonore : Olivier Renouf.
Scénographie : Yves Le Jeune
Costume : Dominique Fabrègue
Lumière : Françoise Michel
25 minutes
Opéra national de Paris / Palais Garnier
images de recherche chorégraphique
Extrait du programme de l’Opéra de Paris
1998-1999
Chorégraphier Rhapsody
Mes jeunes années de danse classique ont été ponctuées par des velléités de chorégraphie moderne. Les histoires que racontait la danse moderne (celle que je connaissais à l’époque), me paraissaient plus adaptées à mon esprit, ma pensée.
La musique de Gershwin était idéale, alors, pour me donner cette source merveilleuse d’un imaginaire dépendant d’un support musical.
Pourtant, au plus profond de moi, je pensais la danse à partir de mes sensations, de mes désirs, de mes intuitions.
Des années passèrent ? Mon corps n’a plus alors fonctionné que dans l’abstraction musicale. Des lignes inspiratoires, des courbes expiratoires, des temps de suspension, qui à eux seuls, définissaient le rythme et la mélodie du mouvement : je pouvais danser sans musique.
La musique, ancien support de ma danse, avait laissé place à une musique intérieure, ma propre musicalité.
J’ai cru à cette seule valeur pendant longtemps.
Jusqu’à refuser de chorégraphier à partir d’une musique écrite.
UNE « DISTANCE » NÉCÉSSAIRE VIS-À-VIS DE LA MUSIQUE
Le « silence » m’avait permis, pendant cette période – que je pourrais comparer à une « renaissance » -- d’inventer une danse, de la matière, de la chorégraphie. Ce silence m’avait ouverte à une nouvelle relation à la musique écrite.
En 1996, je jette un défi : trois chorégraphies différentes sur trois interprétations (enregistrées) différentes du Boléro de Ravel, le tout en un seul spectacle.
Octobre 1997. Au sortir de la soixantaine de représentations de ces trois boléros, je me rends compte combien le regard arrive à modifier l’écoute, et par répercussion, développer le sens musical.
C’est avec un réel plaisir que je j’entends aujourd’hui chacun parler de sa nouvelle découverte de la musique, de son plaisir à comparer telle direction d’orchestre à telle autre. Le public me renvoie plus de choses, voire des éléments bien plus importants que ceux que j’avais voulu développer.
Cette aventure des trois boléros, bien que nourrie de la double contrainte – Chorégraphier à partir d’une musique, et la chorégraphier trois fois – ne trahit pas mes convictions d’une danse affranchie de la musique. Plus, elle éclaire d’une nouvelle lumière d’une nouvelle lumière ma perception de la musicalité et m’ouvre au nouveau champ d’investigation...
C’est à ce moment que Brigitte Lefèvre m’invite à créer une chorégraphie pour les danseurs de l’Opéra de Paris sur du Gershwin : Rhapsody in Blue s’impose. En réécoutant cette musique tant aimée autrefois, je constate qu’elle particulièrement complexe ? D’une construction fertile en événements, elle m’entraîne inévitablement dans l’univers des comédies musicales de son époque, et s’affirme avec une évidence qui me fait craindre momentanément une immense difficulté à trouver les moyens de ne pas parler que de l’énergie qui la soutend. J’en ai pourtant le réel désir.
ELABORATION DU PROJET
Avec Françoise Michel, complice de vingt ans de créations, nous essayons d’imaginer les mouvements de lumière dans lesquels la chorégraphie évoluera. Avec la même nécessité que pour trois boléros, nous écoutons beaucoup de version de Rhapsody, et finissions par faire un choix qui sera vite remplacé par une nouvelle interprétation, déterminante, proposée par Guillaume Tourniaire, le chef d’orchestre qui va diriger la soirée. Cette version « jazz-band » me réjouit. Elle comble ma nature profonde.
Plaisir de la syncope, du contretemps, du swing. Plaisir du mouvement pur. Le « pathos » s’est effacé au service de la jubilation propre à répondre à mes pulsions dynamiques. Mais la construction de Rhapsody reste la même : riche en couleurs et en changement de climats, elle pourrait m’entraîner dans une paraphrase que je ne désire pas. Je veux trouver, avec cette musique, un vrai dialogue, tenter même de faire oublier par instants, pour mieux l’apprécier, au moment où la danse trouvera son accord avec elle.
Autour de Françoise et moi l’équipe s’élargit.
Yves Lejeune imagine une scénographie « délirante », évoquant l’Amérique des années 30. Peu d’éléments sont prévus sur le plateau, mais chacun d’eux sera d’une dimension démesurée.
Le noir et le blanc domine. La ville est évoquée par la musique, trouve ici une résolution abstraite.
Dominique Fabrègue rêve dans la même démesure, de « rayures », imaginant des vibrations qu’elles entraîneront, prises dans le tourbillon de la danse.
Tous les costumes seront rayés, mais chaque costumes sera différents : rayures larges ou fines, verticales, horizontales ou obliques. Costumes toujours en un « seul morceau », s’enroulant délicieusement sur le corps.
Olivier Renouf, de son côté, vole ses sons à la ville, les répertoires, les met en réserve. Plus tard, il les triturera, les mixera et les agencera de façon à donner la couleur nécessaire à ce « moment – prologue » précédant Rhapsody.
DÉBUT DES RÉPÉTITIONS
Septembre 1998 – Belfort, dans le studio blanc du Centre chorégraphique, nous travaillons : Stéphane Imbert et moi éprouvons un réel plaisir à « voler » sur cette musique et à imaginer Carole Arbo et Kader Belarbi dans cet envol.
Nous peinons aussi !...
Les danseurs (ils seront douze) manquent encore à l’élaboration des processus chorégraphiques qui me permettront de jongler entre ces instants où la danse affirmera se propre musicalité, et ceux où la chorégraphie, tantôt calme, tantôt nerveuse, « surfera » sur les « remous » de Gershwin.
Odile Duboc
Octobre 1998
captation interne